La production de cannabis médical au Portugal : un marché en déséquilibre

La production de cannabis médical au Portugal : un marché en déséquilibre

Le Portugal, pionnier en matière de décriminalisation des drogues depuis 2001, se retrouve dans une situation paradoxale concernant le cannabis médical. En dépit d’une production croissante et exportatrice, les patients portugais peinent à accéder à cette substance sur le marché intérieur. Cet article explore les raisons derrière ce déséquilibre, les défis du système de santé portugais, et les perspectives pour le cannabis médical dans le pays.

La croissance de la production de cannabis médical

Depuis quelques années, le Portugal s’est imposé comme un acteur clé dans la production de cannabis médical en Europe. En 2023, le pays a exporté plus de 11 tonnes de cannabis légal, principalement vers des pays européens comme l’Allemagne, où la demande ne cesse de croître. Cette production massive, issue d’une industrie bien régulée, fait du Portugal un leader en matière de cannabis médical à l’échelle mondiale.

Cependant, cette prospérité ne reflète pas la réalité des patients portugais, pour qui l’accès au cannabis médical reste extrêmement limité. Ironiquement, alors que des tonnes de cannabis quittent le pays chaque année pour des marchés étrangers, seulement 17 kilogrammes ont été vendus sur le marché domestique en 2023. Cela soulève une question cruciale : pourquoi les patients portugais ne bénéficient-ils pas de cette abondance ?

Un accès limité pour les patients locaux

La situation pour les patients portugais est loin d’être idéale. Bien que la loi permette l’utilisation de cannabis à des fins médicales depuis 2018, l’accès aux produits à base de cannabis est encadré par des régulations strictes. Les produits sont principalement réservés à des patients souffrant de conditions graves et spécifiques, comme l’épilepsie, la sclérose en plaques ou la douleur chronique. De plus, la prescription de cannabis doit venir de médecins spécialisés, ce qui restreint davantage l’accès.

Actuellement, le produit le plus couramment disponible est la fleur de cannabis, commercialisée par des entreprises telles que Tilray. Cependant, ce produit reste cher et peu accessible. Les coûts élevés et la faible couverture par le système de santé public découragent de nombreux patients potentiels, qui se tournent souvent vers des solutions alternatives.

L’ombre du marché noir

Un autre obstacle majeur à l’accès au cannabis médical au Portugal est la persistance du marché noir. En raison des obstacles financiers et administratifs liés à l’obtention de cannabis médical légal, de nombreux patients choisissent de se procurer la substance par des canaux illégaux. Le marché noir, bien qu’illégal, offre une plus grande accessibilité en termes de coût et de disponibilité. Paradoxalement, il est souvent plus facile pour les patients portugais de trouver du cannabis sur le marché noir que d’obtenir une prescription légale.

Cette situation n’est pas sans conséquences. Les produits achetés illégalement ne sont pas soumis aux mêmes normes de qualité et de sécurité que ceux vendus par des canaux légaux. Cela expose les patients à des risques de consommation de produits contaminés ou de mauvaise qualité, tout en alimentant les activités criminelles.

Un marché orienté vers l’exportation

L’une des raisons pour lesquelles le marché intérieur reste sous-développé est que la majorité du cannabis médical produit au Portugal est destiné à l’exportation. En tant que membre de l’Union européenne, le Portugal a accès à un marché plus vaste et plus lucratif. Les entreprises locales préfèrent donc exporter leurs produits vers des pays où la demande est plus forte et où les réglementations sont plus favorables aux ventes de cannabis médical.

En Allemagne, par exemple, le cannabis médical est largement accepté et les prescriptions sont couvertes par l’assurance maladie. Cela crée un marché bien plus attractif pour les producteurs portugais que le marché domestique, où les obstacles réglementaires et financiers freinent la demande. Cette orientation vers l’exportation contribue à perpétuer le décalage entre la production nationale et la consommation locale.

Les défis réglementaires

Le cadre législatif portugais, bien qu’il permette l’utilisation du cannabis à des fins médicales, est encore loin de répondre aux besoins des patients. Les régulations en vigueur restreignent sévèrement les conditions dans lesquelles le cannabis peut être prescrit, et peu de médecins sont formés ou disposés à prescrire cette substance. De plus, les obstacles bureaucratiques, combinés aux coûts élevés des traitements, découragent de nombreux patients.

Un autre problème réside dans l’éducation et la perception publique. En dépit de la décriminalisation des drogues depuis 2001, le cannabis continue d’être stigmatisé au Portugal, en particulier dans un contexte médical. Les médecins sont souvent réticents à prescrire du cannabis, et les patients hésitent à le demander en raison de la stigmatisation sociale attachée à cette substance.

Des perspectives d’évolution

Malgré ces obstacles, il existe des signes positifs pour l’avenir du cannabis médical au Portugal. La production continue de croître et de se professionnaliser, et les infrastructures locales sont en place pour répondre à une demande accrue si les régulations venaient à s’assouplir. Certaines entreprises portugaises commencent à faire pression pour un meilleur accès des patients locaux, soulignant l’importance de rendre cette substance disponible pour ceux qui en ont besoin.

L’exemple d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, montre qu’il est possible de créer un marché intérieur florissant pour le cannabis médical tout en maintenant des exportations lucratives. Si le Portugal réussit à réformer son cadre réglementaire et à réduire les obstacles à l’accès, il pourrait non seulement améliorer la qualité de vie de ses patients, mais aussi renforcer son rôle de leader dans la production de cannabis médical en Europe.

Conclusion

Le Portugal se trouve dans une situation paradoxale où il est à la fois un producteur majeur de cannabis médical pour l’exportation et un pays où l’accès des patients locaux à cette même substance reste extrêmement limité. Les défis sont nombreux, entre un cadre réglementaire restrictif, des coûts élevés, et la persistance du marché noir. Cependant, avec des réformes adéquates et un soutien accru des institutions de santé, le pays pourrait exploiter pleinement le potentiel de cette industrie tout en améliorant l’accès pour ses patients.